CHAPITRE 31

Abasourdie, elle se redressa sur son lit.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Ben.

– Je n’arrive vraiment pas à m’y faire.

– Si cela concerne l’affaire sur laquelle nous travaillons tous les deux…

– Non. Pas celle-là. Les salauds !

Que s’est-il passé ?

– S’il vous plaît, s’écria-t-elle. Laissez-moi réfléchir !

Très bien. » D’un air irrité, Ben prit son téléphone digital dans la poche de sa veste.

Elle pensa : Pas étonnant que « Phil Ostrow » l’ait appelée en pleine nuit… à une heure bien trop tardive pour qu’elle puisse vérifier ses dires auprès de l’ambassade américaine. Mais alors, qui était le type qu’elle avait rencontré à l’antenne de la CIA ?

Mais était-ce bien l’antenne de la CIA ?

Qui étaient « Ostrow » et « Yossi » ?

Elle entendit Ben s’exprimer dans un français rapide. Puis il se tut et écouta un moment.

« Oscar, tu es un génie », finit-il par déclarer.

Quelques minutes plus tard, il passait une deuxième communication.

« Megan Crosby, je vous prie. »

Si « Phil Ostrow » était un imposteur, ce devait être un fameux comédien. Et que fabriquait-il ? « Yossi » pouvait aussi bien être israélien qu’originaire d’un autre pays du Moyen-Orient ; c’était difficile à déterminer.

« Megan, c’est Ben », dit-il.

Qui étaient ces hommes ? se demandait-elle.

Elle saisit le combiné et appela de nouveau Jack Hampton.

« Jack, j’ai besoin du numéro de l’antenne de la CIA.

– Pour qui tu me prends, les renseignements téléphoniques ?

– Elle est dans l’immeuble en face du consulat, c’est bien cela ?

– L’antenne de la CIA se trouve dans le bâtiment principal de l’ambassade, Anna.

– Non, l’annexe. Un immeuble de bureaux de l’autre côté de la rue. Sous couvert de la Chambre de commerce des États-Unis.

– Je ne vois pas de quoi tu parles. La CIA ne possède aucun bureau sous couverture en dehors de celui qui se trouve dans l’ambassade. Pas que je sache, en tout cas. »

Elle raccrocha. La panique envahissait son corps. Si l’endroit où elle avait rencontré Ostrow n’était pas un site de la CIA, qu’est-ce que c’était ? Le cadre, le contexte… chaque détail était exact. Trop exact, trop convaincant ?

Elle entendit Ben s’exclamer : « Vous me faites marcher. Bon sang, vous êtes une rapide. »

On était en train de la manipuler. Mais qui ? Et à quelle fin ? Il s’agissait évidemment d’un individu ou d’un groupe d’individus qui la savaient à Vienne, connaissaient la raison de sa venue et le nom de son hôtel.

Si Ostrow était un imposteur, il y avait de fortes chances pour que son histoire sur le Mossad soit fausse. Elle avait été victime d’une arnaque des mieux montées. Ils avaient eu l’intention d’enlever Hartman… et de se servir d’elle pour qu’elle leur livre le « paquet » tout ficelé.

Elle se sentait perdue.

Dans son esprit, elle passait tout en revue, depuis l’appel de « Ostrow » jusqu’à l’endroit où « Yossi » et lui l’avaient reçue. Alors, tout cela n’aurait été qu’un leurre impeccablement conçu ?

Elle entendit Hartman dire :

« Parfait ! Attendez, je note. Magnifique travail, ma petite. Formidable. »

Ainsi donc cette histoire de Mossad, où les rumeurs le disputaient aux allusions murmurées, corroborées par aucun témoignage, n’était rien de plus qu’une fable tissée à partir d’éléments plausibles. Qu’y avait-il de vrai dans tout ce qu’elle avait appris ?

Qui donc s’ingéniait à la lancer sur une mauvaise piste… et dans quel but ?

Où était la vérité ? Où donc était la vérité ?

« Ben », dit-elle.

Il leva l’index pour lui faire signe d’attendre, conclut sa conversation téléphonique et referma son portable d’un geste.

Changeant brusquement d’avis, elle décida de ne rien lui révéler de ce qu’elle venait de découvrir. Pas encore. Elle se contenta de lui demander : « Avez-vous appris quelque chose par l’intermédiaire de Sonnenfeld ? »

Hartman lui narra sa rencontre et lui exposa les opinions émises par le vieil homme. De temps à autre, Anna l’interrompait pour éclaircir tel ou tel point ou lui demander de plus amples explications.

« Votre père n’était pas un nazi, en fin de compte.

– Non, d’après Sonnenfeld du moins.

– Alors, que représente Sigma pour lui ?

– Il ne s’est guère étendu sur le sujet. Et il est resté franchement évasif quand on a abordé celui de Strasser.

– Et la raison de l’assassinat de votre frère ?

– On l’aurait tué parce qu’il représentait une menace, pour l’empêcher de tout révéler. Une personne ou un groupe de personnes craignaient qu’il ne divulgue les noms en question.

– Ou que l’existence de cette corporation ne s’ébruite. De toute évidence, il s’agissait d’un ou plusieurs individus protégeant de gros intérêts financiers. Ce qui veut dire que ces vieillards étaient… » Elle s’interrompit.

« Bien sûr ! L’argent blanchi ! Ces vieillards étaient rétribués. Peut-être par quelqu’un ayant pris le contrôle de la corporation qu’ils avaient constituée tous ensemble.

– Rétribués soit par le versement de pots-de-vin, ajouta Ben, soit par une redistribution des bénéfices. »

Anna se leva.

« Éliminez les bénéficiaires et adieu les virements. Les vieux gâteux ne réclameront plus leur chèque de fin de mois. Ce qui signifie que les commanditaires de ces meurtres entendent en tirer un avantage financier. Certainement. Quelqu’un comme Strasser, ou même votre père. » Elle le regarda. Elle ne pouvait se résoudre à éliminer cette hypothèse. Même si cela ne faisait pas plaisir à Ben. Son père avait pu commettre des meurtres… avoir du sang sur les mains, ou du moins avoir ordonné ces exécutions.

Mais comment expliquer la savante mise en scène d’Ostrow, le faux agent de la CIA ? Pouvait-il avoir un lien quelconque avec les héritiers de quelque vaste fortune occulte ?

« Théoriquement, on peut imaginer que mon père fait partie de cette bande de malfrats, répondit Ben. Mais je ne le pense pas.

– Et pourquoi cela ? » Elle se demandait jusqu’où elle pouvait le pousser sur ce sujet.

« Parce que mon père ne sait déjà pas quoi faire de tout son argent. Parce qu’il a beau être un homme d’affaires implacable doublé d’un fieffé menteur, ma discussion avec Sonnenfeld me porte à croire qu’il n’est pas foncièrement mauvais. »

Elle doutait que Hartman lui fasse des cachotteries, mais sa loyauté envers son père faussait sans conteste son jugement. En effet, Ben lui apparaissait comme un être loyal… admirable qualité qui hélas vous aveugle parfois.

« Il y a un truc que je ne pige pas, poursuivit Hartman. Ces types sont vieux et malades. Alors pourquoi prendre la peine d’engager un tueur pour les éliminer ? Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

– Certes. À moins qu’on ne redoute leur indiscrétion.

– Mais s’ils n’ont pas parlé pendant un demi-siècle, pourquoi le feraient-ils à présent ?

– Les autorités ont peut-être exercé une pression sur eux, après l’apparition de cette liste. Confronté à la menace d’un procès, l’un d’entre eux aurait pu lâcher le morceau. Autre solution. La Corporation passe par une nouvelle phase et cette transition la rend particulièrement vulnérable.

– Il s’agit là d’un monceau de présomptions, dit-il. Nous avons besoin de faits tangibles. »

Elle fît une pause.

« À qui parliez-vous tout à l’heure au téléphone ?

– Une consultante dont j’ai déjà utilisé les services. Elle m’a dit que Vortex Laboratories baignait dans un environnement quelque peu étrange. »

Aussitôt Anna dressa l’oreille.

« Oui ?

– Cette boîte est aux mains du géant européen de la chimie et de la technologie, Armakon AG. Une compagnie autrichienne.

– Autrichienne…, murmura-t-elle. Voilà qui est intéressant.

– Ces gigantesques sociétés technologiques ne cessent de racheter de petites start-up, dans l’espoir de rafler les brevets des inventions qui ont échappé à leurs ingénieurs maison. Et autre chose. Mon ami des îles Caïmans a réussi à remonter la piste de quelques virements. »

Et dire que son contact du DOJ s’en était montré incapable. Elle fit de son mieux pour dissimuler son excitation.

« Racontez-moi.

– L’argent était envoyé par une compagnie immatriculée dans les îles Anglo-Normandes, quelques secondes après avoir transité par une Anstalt basée au Liechtenstein. Une sorte d’entité aveugle.

– S’il provenait d’une compagnie, les noms des vrais titulaires doivent figurer dans des fichiers, quelque part ?

– Voilà le hic. En général, les Anstalts sont dirigées par un agent, souvent un homme de loi. Ce sont pour la plupart des corporations factices qui n’existent que sur le papier. Un seul agent basé au Liechtenstein peut en contrôler des milliers.

– Votre ami a-t-il pu obtenir le nom de celui qui s’occupe de cette Anstalt ?

Je crois que oui. Seulement voilà, il faudrait recourir à la torture pour soutirer à l’un de ces agents la moindre information sur les Anstalts qu’il dirige. Ils ont une réputation à préserver. C’est pour leur discrétion qu’on a recours à eux. Mais mon ami s’emploie à soulever le voile. »

Elle fit un grand sourire. Ce type lui plaisait de plus en plus.

Le téléphone sonna.

Elle décrocha.

« Navarro.

– Anna, c’est Walter Heisler. J’ai vos résultats.

– Mes résultats ?

– Concernant l’arme qui a été abandonnée par le tireur à Hietzing. Les empreintes que vous m’avez demandé de faire examiner. Elles correspondent à d’autres empreintes connues d’Interpol. Un certain Hans Vogler, ex-Stasi. Il ne devait pas s’attendre à rater son coup ni à ce qu’on lui mette des bâtons dans les roues, parce qu’il ne portait pas de gants. »

Heisler ne lui apprenait rien de nouveau, mais les empreintes digitales constitueraient une solide pièce à conviction.

« Fantastique. Walter, écoutez, j’ai besoin que vous me rendiez un autre service.

– Vous ne semblez pas surprise, fit Heisler boudeur. J’ai dit qu’il appartenait à la Stasi, vous avez bien compris ? Les services secrets de l’ancienne Allemagne de l’Est.

– Oui, Walter, j’ai bien compris, et je vous remercie. Très impressionnant. » Voilà qu’elle adoptait de nouveau ce ton trop brusque, trop strict. Aussi tenta-t-elle ensuite d’adoucir sa remarque.

« Merci mille fois, Walter. Juste une dernière chose… »

D’une voix lasse, il laissa tomber : « Oui ?

– Une seconde. » Elle couvrit le micro du téléphone et dit à Ben : « Vous n’avez pas encore réussi à joindre Hoffman ?

– Pas un mot. Pas de réponse… c’est bizarre. »

Elle ôta sa main du combiné.

« Walter, j’aimerais que vous me fournissiez toutes les informations disponibles sur un détective privé viennois nommé Hans Hoffman ? »

Il y eut un silence.

« Allô ?

– Oui, Anna, je suis là. Pourquoi ce Hans Hoffman vous préoccupe-t-il tant ?

– J’ai besoin d’une aide extérieure, répondit-elle après s’être accordé une fraction de seconde de réflexion, et on m’a donné son nom…

– Eh bien, je pense que vous allez devoir trouver quelqu’un d’autre.

– Pourquoi cela ?

– Il y a une heure, la collaboratrice d’un Berufsdetektiv nommé Hans Hoffman a appelé le Sicherheitburo. En arrivant au travail, l’enquêtrice a découvert son patron mort. Tué à bout portant d’une balle en plein front. Et, chose bizarre… son index droit était sectionné. S’agirait-il du même Hans Hoffman ? »

Ben fixait Anna d’un regard incrédule pendant qu’elle lui exposait ce qu’elle venait d’apprendre.

« Bon sang, il semble qu’ils ne nous lâchent pas d’une semelle, quoi que nous fassions, murmura-t-il.

– Il serait peut-être plus juste de dire qu’ils nous "précèdent". »

Ben se massa les tempes du bout des doigts puis s’exprima d’une voix posée.

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami.

– Que voulez-vous dire ?

– Sigma m’a tout l’air d’éliminer ses propres membres. Or ces victimes qui vous intéressent tant ont toutes un point commun avec moi. Un ennemi commun. Nous avons bien décrit le dispositif – des vieillards apeurés disparaissent de la circulation et vivent leurs dernières années sous des noms d’emprunt.

Il est certain qu’ils savaient de quoi il retournait. De ce fait, notre seul espoir consiste à établir un contact avec l’un des survivants de la liste. Un homme avec lequel je puisse trouver un terrain d’entente, une certaine affinité, afin de l’inciter à me fournir son aide, sachant que sa propre sauvegarde dépendra de sa coopération. »

Anna se leva et se mit à arpenter la pièce.

« C’est-à-dire, s’il en reste un en vie, Ben. »

Il la fixa un long moment, sans rien dire. Dans son regard se lisait une certaine hésitation. Elle voyait qu’il désirait ardemment lui faire confiance, de la même façon qu’elle espérait ardemment pouvoir lui faire confiance. Il répondit d’une voix lente et incertaine : « J’ai le sentiment – ce n’est qu’un sentiment, un peu plus qu’une intuition – qu’il doit en rester un en vie.

– Lequel ?

– Un Français nommé Georges Chardin. »

Elle hocha légèrement la tête.

« Georges Chardin… J’ai vu ce nom sur la liste Sigma – mais il est mort depuis quatre ans.

– Pourtant le fait que son nom figure dans les dossiers Sigma signifie qu’Allen Dulles s’est penché sur son cas.

– Dans les années 50, ouais. Mais rappelez-vous, la plupart de ces personnes ont disparu depuis un bon bout de temps. Je me suis surtout occupée de celles qui sont tombées lors de cette dernière recrudescence de meurtres – ou des victimes potentielles. Chardin n’entre dans aucune de ces deux catégories. En outre, ce n’est pas un fondateur, aussi ne figure-t-il pas sur votre document d’enregistrement. La liste Sigma ne contient pas uniquement les noms des premiers membres. » Elle lui lança un regard insistant. « Ma question est la suivante : comment en êtes-vous venu à vous préoccuper de lui ? Me cachez-vous quelque chose ? »

Ben secoua la tête.

« Nous n’avons pas le temps de jouer à ce petit jeu, dit Anna.

– Georges Chardin, j’ai dû lire quelque chose sur lui. Mais ce n’est pas un homme célèbre, personne n’a jamais entendu parler de lui. Alors quel intérêt revêt-il ?

– Son intérêt, c’est son patron, un fameux industriel français faisant partie des fondateurs présents sur la photo. Un homme du nom d’Emil Ménard. À son époque, c’était un grand chevalier d’industrie. Il était déjà vieux en 1945 ; sa mort remonte à des dizaines d’années.

– Je le connais. C’est lui qui a fondé Trianon, le premier conglomérat moderne, n’est-ce pas ?

– C’est cela même. Trianon est l’un des plus gros empires industriels français. Émile Ménard a fait de Trianon un géant français de la pétrochimie auprès duquel même Schlumberger passe pour une quincaillerie de village.

– Ainsi donc, ce Georges Chardin a travaillé pour le légendaire Émile Ménard ?

– Travaillé ? Dites plutôt qu’il respirait à sa place. Chardin était son fidèle lieutenant, son aide de camp, son factotum et tout ce que vous pouvez imaginer d’autre. L’expression "bras droit" n’a jamais été plus appropriée. Chardin fut engagé en 1950 alors qu’il n’avait que vingt ans et, en l’espace de quelques années, ce blanc-bec a révolutionné les mentalités. La notion de capital n’a plus été la même après lui, il a introduit une manière nouvelle et sophistiquée de calculer le retour sur investissement et restructuré la compagnie en fonction de ses idées. Il était très en avance sur son temps. Une figure majeure.

– Dans votre monde peut-être.

– Je vous l’accorde. Le fait est que le vieil homme a placé toute sa confiance en son jeune protégé ; il le consultait sur chaque détail concernant le fonctionnement de sa vaste entreprise. Dès 1950, Émile Ménard et Chardin sont devenus inséparables. On disait que Chardin avait en tête toute la comptabilité de la société. C’était un ordinateur ambulant. » Ben produisit la photo jaunie du groupe Sigma et la plaça devant Anna en lui désignant le visage de Ménard.

« Que voyez-vous ?

– À dire vrai, Ménard a l’air plutôt hagard. Pas du tout à son aise.

– En effet. Il était assez gravement malade à ce moment-là. Il a passé les dix dernières années de sa vie à se battre contre un cancer, mais c’était un personnage remarquable et il l’est resté jusqu’à la fin. Il est mort persuadé que sa société demeurerait forte et continuerait à croître, grâce à son jeune et brillant directeur financier.

– Émettriez-vous l’hypothèse que Ménard aurait confié à Georges Chardin le secret de l’entreprise Sigma ?

– J’en suis quasiment certain. Il ne fait aucun doute que Chardin est resté au second plan. Mais il était l’ombre de Ménard et il paraît inconcevable qu’il ait ignoré l’existence de Sigma, quels que soient ses objectifs et ses méthodes. Si l’on envisage la situation en se plaçant du côté de Sigma, on comprend aisément que pour rester active, l’entreprise avait besoin, en plus de ses activités ordinaires, de recruter de nouveaux dirigeants capables de remplacer les fondateurs. Il a donc bien fallu que Chardin y tienne une place significative, probablement en tant que membre de son conseil interne – Ménard a dû y veiller.

– OK, OK, vous m’avez convaincue, lança Anna. Mais où est-ce que cela nous mène aujourd’hui ? Nous savons que Chardin est mort voilà quatre ans. Vous pensez qu’il a pu laisser des dossiers, des papiers, ou autres ?

– On nous a dit que Chardin était mort depuis quatre ans, je le sais. À l’époque même où mon frère Peter a organisé sa fausse disparition. Et si Chardin avait eu la même idée que Peter – disparaître, se cacher pour échapper aux tueurs lancés à ses trousses ?

– -Allons, Ben ! Les conclusions auxquelles vous aboutissez ne sont basées que sur des monceaux de suppositions. Où sont les preuves ?

– Sur votre liste, il est dit qu’il a péri dans un incendie, c’est bien cela ? La vieille ruse : "rendu méconnaissable par le feu". Comme mon frère. Désolé, mais on ne m’aura pas deux fois. » Il sembla déceler un certain scepticisme sur les traits de la jeune femme.

« Écoutez-moi : Vous l’avez dit vous-même. Nous avons affaire à une série de vieillards qui ont été tués probablement parce que quelqu’un les considérait comme une menace. Sigma, ses héritiers ou ses nouveaux dirigeants. Donc posons-nous la question : comment une poignée de types arrivés au soir de leur vie pourraient-ils représenter une menace assez sérieuse pour qu’on les assassine ? » Il se leva et se mit à faire les cent pas. « Vous voyez, depuis le début je commets l’erreur de considérer Sigma comme une simple organisation de façade, une fausse corporation – alors qu’elle est bien réelle.

– Que voulez-vous dire ?

– La chose aurait dû me sauter aux yeux ! Je peux vous donner une centaine d’exemples tirés de mon expérience de banquier à Wall Street. En 1992, un type est devenu le grand patron de Time Warner après avoir évincé un rival, et devinez quelle a été sa première décision en tant que directeur ? Épurer son conseil d’administration et en expulser les membres qui lui étaient hostiles. Il vaut mieux se débarrasser de ses adversaires !

– Mais le type de Time Warner ne les a pas tués, je présume, répliqua-t-elle sèchement.

– À Wall Street nous avons d’autres techniques pour éliminer nos ennemis. » Ben fit un sourire en coin. « Mais il les a quand même éliminés. C’est ce qui arrive quand survient un brusque changement au niveau de la direction.

– Vous suggérez donc qu’il s’est produit un "changement au niveau de la direction" chez Sigma.

– Exactement. Une purge au sein des administrateurs dissidents, pourrait-on dire.

– Rossignol, Mailhot, Prosperi et les autres – ils seraient tous des dissidents ? Des brebis galeuses aux yeux de la nouvelle direction ?

– Quelque chose dans ce goût-là. Georges Chardin avait la réputation d’être un homme brillant. Il a dû voir le vent venir et s’est arrangé pour disparaître.

– Peut-être que oui, peut-être que non. Tout cela n’est encore que pure spéculation.

– Pas vraiment », dit Ben doucement. Il se tourna pour faire face à Anna. « En me fiant au principe consacré : "Cherchez l’argent", j’ai engagé un enquêteur français aux services duquel nous avons déjà eu recours chez Hartman Capital Management. Un petit génie nommé Oscar Peyaud. Nous lui avons confié des tâches délicates sur Paris et, à chaque fois, il nous a épatés par la rapidité et la qualité de son travail. Et la longueur de sa note de frais, mais ça c’est une autre histoire.

– Merci de me tenir au courant de ce que vous faites, fit remarquer Anna sur un ton fortement sarcastique. C’est la moindre des choses entre partenaires.

– Écoutez-moi. Personne ne peut vivre sans une forme de soutien financier. Je vous explique mon raisonnement. Que se passerait-il si vous pouviez retrouver la trace de l’exécuteur testamentaire de Chardin – savoir sous quelle forme se présente son héritage, comment il a pu en conserver l’accès. » Il fit une pause puis sortit une feuille de papier de la poche de sa veste.

« Ceci est arrivé de Paris, il y a une heure. Ça vient d’Oscar Peyaud. »

Sur la feuille, quelques signes étaient tracés :

Roger Chabot

1554, rue des Vignoles

Paris XXe

Anna leva les yeux, sa curiosité soudain en éveil.

« Chabot ?

– Le pseudonyme de Georges Chardin, je parie. Je pense que nous tenons notre homme. À présent, il s’agit de parvenir jusqu’à lui avant que Sigma ne nous coupe l’herbe sous le pied. »

Une heure plus tard, le téléphone sonnait sur le bureau de Walter Heisler. Deux courtes sonneries : une ligne interne. Heisler fumait comme un pompier – il en était à son troisième paquet de Casablancas de la journée – quand il décrocha. Il écouta deux secondes avant de se décider à parler : « Heisler. »

C’était le technicien travaillant dans la petite pièce du quatrième étage.

« Avez-vous eu le bulletin de l’Américaine, Navarro ?

– Quel bulletin ? » Heisler laissa le filet de fumée tiède sortir lentement de ses narines.

« Il vient d’arriver.

– Dans ce cas, il est probablement resté au service du courrier toute la matinée. » Le service du courrier du Sicherheitburo était une véritable malédiction pour lui.

« Alors, que se passe-t-il ? À moins que j’aie plus vite fait d’allumer la radio pour l’apprendre ? » Un jour, il avait effectivement découvert la cachette d’un fugitif en écoutant une station de radio locale, les employés du courrier ayant égaré le message faxé le matin même, quelque part entre leur service et son bureau.

« Une belle coquine, on dirait. Elle nous a bien eus. Le gouvernement américain a lancé un mandat contre elle. Ça ne me regarde pas, mais je pensais que quelqu’un vous aurait refilé le scoop.

– Seigneur ! » dit Heisler. La cigarette coincée entre ses lèvres tomba dans sa tasse de café ; on entendit le bref grésillement du mégot. « Merde ! Foutu problème.

– Pas si problématique que ça, si c’est vous qui lui mettez la main dessus, hein ? » dit prudemment le technicien.

« La note de la chambre 1423 », lança Anna au concierge qui se tenait à l’accueil, l’air tourmenté. Elle déposa deux cartes-clés sur le comptoir de granit noir.

« Un instant, je vous prie. J’ai seulement besoin de votre signature sur la note, ja ? » L’homme, un quadragénaire. fatigué aux joues creuses et aux cheveux d’un blond sale – teints ? – peignés en arrière et collés au crâne, pour faire plus jeune sans doute, portait une veste d’uniforme ajustée, coupée dans une sorte de tissu synthétique marron, ornée d’épaulettes effilochées. Anna l’imagina un bref instant dans un autre cadre, après sa journée de travail – vêtu de cuir noir, copieusement aspergé d’une eau de Cologne musquée, hantant les night-clubs en comptant sur la lumière tamisée pour séduire quelque schône Màdchen.

« Bien sûr, fit Anna.

– J’espère que vous avez apprécié votre séjour, Miss Navarro. » Il tapa des chiffres sur un clavier, puis leva les yeux vers elle. Un sourire découvrit ses dents jaunâtres.

« Toutes mes excuses. Il va falloir attendre un moment pour accéder au dossier. Un problème avec le système. L’informatique, n’est-ce pas ? » Son sourire s’épanouit comme s’il venait de sortir une bonne blague. « Ces machines nous facilitent bien le travail. Quand elles marchent. Permettez-moi d’appeler le directeur. » Il s’empara d’un casque rouge et dit quelques mots en allemand.

« Que se passe-t-il ? demanda Ben, debout derrière Anna.

– Un problème informatique, à ce qu’il paraît », murmura-t-elle.

Un petit homme ventripotent vêtu d’un complet noir émergea de derrière le comptoir.

« Je suis le directeur. Je suis navré pour ce contretemps. » L’employé et lui échangèrent un regard.

« Une panne. Il va falloir quelques minutes pour récupérer le dossier. Des appels téléphoniques, rien que ça. Nous allons bientôt pouvoir vous présenter la note afin que vous y jetiez un coup d’œil pour accord. Je ne voudrais pas vous facturer les appels de la chambre 1422. Ce genre de désagrément se produit parfois avec le nouveau système. Le miracle de la technologie moderne. »

Quelque chose ne tournait pas rond, certes, mais ce n’était pas le système informatique.

Le directeur se montrait jovial, rassurant, expansif et pourtant, bien qu’il fasse assez frais dans le hall, Anna remarqua les gouttes de sueur qui perlaient sur son front.

« Venez-vous asseoir dans mon bureau pendant que nous arrangeons cela. Allons, ne restez pas debout ! Vous partez pour l’aéroport, hein ? Vous avez déjà prévu comment vous y rendre, hein ? Pourquoi ne pas emprunter la voiture de l’hôtel ? – cadeau ! Nous vous devons bien cela.

– C’est très aimable à vous », fit Anna. Elle avait rencontré maintes fois ce type de comportement au cours de ses enquêtes – la nervosité rendait bavard. L’homme avait reçu l’ordre de les retenir. C’était parfaitement clair.

Mais on n’avait pas dû lui dire pourquoi ni s’ils étaient dangereux. On lui avait sans doute demandé de prévenir la sécurité, mais la sécurité n’était certainement pas encore arrivée, sinon il n’aurait pas été aussi anxieux. Elle quittait l’hôtel de façon prématurée. Ce qui signifiait… eh bien, il y avait plusieurs possibilités. Peut-être venaient-ils à peine de lancer un mandat contre elle – ou contre Ben ? Ou les deux ? Dans ce cas, leur départ avait dû les prendre de court.

« Écoutez, dit-elle. Vous n’avez pas besoin de moi pour résoudre votre problème informatique. Vous m’enverrez la note plus tard. C’est faisable, non ?

– Cela ne prendra que quelques minutes », repartit le directeur. Mais au lieu de poser les yeux sur elle en parlant, il échangea un regard avec le garde posté de l’autre côté du hall.

Anna consulta ostensiblement sa montre.

« Vos cousins vont se demander ce qui nous arrive, dit-elle à Ben. Nous ferions mieux d’y aller. »

Le directeur fit le tour du comptoir et lui posa une main moite sur le bras.

« Quelques petites minutes », insista-t-il. Il était tellement proche d’elle qu’elle pouvait sentir l’odeur qui se dégageait de lui, un mélange peu ragoûtant de fromage gratiné et de brillantine.

« Ne me touchez pas », s’écria Anna d’un ton vaguement menaçant. Ben fut étonné par la soudaine froideur de sa voix.

« Nous pouvons vous conduire là où vous le souhaitez », protesta le directeur, sur un ton plus cajoleur qu’agressif.

De l’autre côté du hall, le vigile s’approchait d’eux à grands pas.

Anna coinça la lanière de son sac sur son épaule et se dirigea vers la sortie.

« Suivez-moi », dit-elle à Ben.

Ils avancèrent rapidement vers la porte. Elle savait que le garde serait bien obligé de s’entretenir quelques secondes avec le directeur avant de les poursuivre à l’extérieur du bâtiment.

Arrivée sur le trottoir, elle examina les alentours. Au coin du pâté de maisons, un officier de police parlait dans un talkie-walkie. Il était probablement en train d’indiquer sa position. Ce qui signifiait qu’il était encore seul sur les lieux.

Elle lança son sac à Ben et fonça droit vers le policier.

« Bon sang, Anna ! » s’exclama Ben.

Anna interpella le policier et s’adressa à lui d’une voix forte et autoritaire.

« Vous parlez anglais ?

– Oui, répondit le flic mal assuré.

– Anglais, oui. » Il avait les cheveux coupés en brosse, une carrure d’athlète et une bonne vingtaine d’années.

« Je fais partie du Bureau Fédéral d’Investigation américain, dit Anna. Le Bureau Fédéral d’Investigation, vous comprenez ? Le FBI. Nous recherchons une Américaine en fuite et j’ai besoin de votre aide. La femme s’appelle Anna Navarro. » Elle sortit rapidement son badge OSI tout en soutenant son regard ; il y posa les yeux mais ne s’y attarda pas.

« Anna Navarro, vous dites ? dit le policier avec reconnaissance et soulagement. Oui. On nous a prévenus. Dans l’hôtel, c’est cela ?

– Elle s’est barricadée dans sa chambre, dit Anna. Treizième étage. Chambre 1423. Et elle voyage avec quelqu’un, n’est-ce pas ? »

Le policier haussa les épaules.

« Anna Navarro. C’est bien le nom que nous avons », dit-il.

Anna hocha la tête. C’était une information importante.

« J’ai deux agents sur place. Mais juste des observateurs. Nous ne pouvons pas intervenir en territoire autrichien. C’est à vous de jouer. Je vais vous demander d’emprunter l’entrée de service, sur le côté du bâtiment, et de monter au treizième étage. Vous êtes d’accord ?

– Oui, oui, abonda le policier.

– Et passez le mot, OK ? »

Il hocha vigoureusement la tête.

« Nous allons vous la chercher. L’Autriche est – comment dites-vous ? – un pays où règnent la paix et l’ordre, n’est-ce pas ? »

Anna lui adressa son plus chaleureux sourire.

« Nous comptons sur vous. »

*

Quelques minutes plus tard, Ben et Anna étaient à bord d’un taxi en route pour l’aéroport.

« C’était plutôt gonflé, estima Ben d’une voix tranquille. Foncer sur le flic de cette manière.

– Pas tant que ça. Je fais le même métier qu’eux. S’ils avaient eu toutes les données en main, ils auraient pris plus de précautions. Ils ne connaissent pas mon signalement. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils cherchent une Américaine, pour le compte des Américains. Mais ils ignorent si je suis la proie ou le chasseur.

– Si vous le dites… » Ben secoua la tête. « Mais pourquoi vous courent-ils après ?

– Je n’ai pas encore de réponse. Quelqu’un a répandu une rumeur selon laquelle j’aurais trahi mon pays. En vendant des secrets d’État ou autres. La question est qui, comment et pourquoi.

– Il me semble que Sigma se cache là-dessous. Ils manipulent la police.

– Ça m’en a tout l’air.

– Pas bon pour nous, dit Ben. Nous risquons d’avoir tous les flics d’Europe au cul, en plus des tueurs fous dépêchés par Sigma – ça va nous mettre de sérieux bâtons dans les roues.

– On peut présenter les choses comme cela, fit Anna.

– Nous sommes morts.

– Là, vous y allez un peu fort. » Anna haussa les épaules. « Et si nous évitions de mettre la charrue avant les bœufs ?

– Comment ça ?

– Eh bien, disons pour l’instant que Ben Hartman et Anna Navarro sont sur le point d’arriver à l’aéroport de Graz où ils réserveront deux allers pour Munich, cent cinquante kilomètres au sud.

– Et qu’allons-nous faire à Munich ?

– Nous n’allons pas à Munich. Le hic, c’est que j’ai demandé qu’on surveille vos cartes de crédit. Ce qui est fait est fait. Pas moyen de faire rentrer le génie dans sa bouteille. Si vous utilisez vos propres cartes, une alarme va se mettre à carillonner à Washington et Dieu sait dans lesquels de nos bureaux à l’étranger.

– Donc, nous sommes coincés.

– Nous en avons l’habitude. J’ai besoin que vous vous concentriez, Ben. Écoutez, votre frère avait prévu tous les papiers nécessaires à ses éventuels déplacements. Au cas où Liesl et lui auraient eu besoin de voyager incognito. Pour autant qu’on le sache, les papiers d’identité sont encore bons et la carte de crédit doit toujours fonctionner. Robert et Paula Simon vont acheter des billets pour le prochain Vienne-Paris. Un couple d’Américains basique, un parmi les dizaines de milliers qui transitent par cet aéroport chaque jour.

– Très bien, dit Ben. Très bien. Je suis désolé, Anna. Je n’ai pas les idées claires. Mais il subsiste certains risques, n’est-ce pas ?

– Bien sûr qu’il y a des risques. Tout ce que nous faisons comporte des risques. Mais si nous partons maintenant, ils n’auront peut-être pas eu le temps de diffuser nos photos et de lancer une recherche pour retrouver Mr. et Mrs. Simon. Le principal est de rester calme et vigilant. Prêt à improviser, si besoin est.

– Bien sûr », ajouta Ben, mais il n’avait pas l’air si sûr que cela.

Elle posa les yeux sur lui. Il faisait jeune, plus jeune que son âge son arrogance s’était évanouie et elle sentait qu’il avait besoin d’être rassuré.

« Après tout ce par quoi vous êtes passé, je sais que vous n’allez pas perdre la tête. Vous ne l’avez pas fait jusqu’à présent. Et en ce moment, c’est probablement la chose la plus importante.

– La chose la plus importante c’est trouver Chardin.

– Nous le trouverons, dit Anna en serrant les mâchoires d’un air résolu. Nous le trouverons. »

 

Zurich

 

Matthias Deschner enfouit son visage dans ses deux mains, en espérant qu’un éclair de lucidité transperce les ténèbres. On avait fini par se servir de l’une des cartes de crédit que le petit ami de Liesl avait obtenue, grâce à lui. Le compte n’ayant pas été utilisé depuis quelque temps, on l’avait appelé, comme il se doit. Les employés des services de crédit-sécurité étaient censés vérifier par un coup de fil si la carte n’était pas portée manquante.

Peter avait veillé à ce que la redevance annuelle soit prélevée automatiquement ; le nom, le numéro de téléphone, l’adresse étaient ceux de la société commerciale que Matthias avait créée à sa demande ; toutes les communications parvenaient à Deschner, en tant que représentant légal. Deschner avait un peu rechigné, à se lancer dans cette affaire – une affaire pour le moins illicite – mais Liesl l’avait imploré de les aider, et, il avait fini par accepter. Rétrospectivement, il se disait qu’il aurait dû prendre ses jambes à son cou. Deschner se savait un homme honorable, en revanche il ne s’était jamais pris pour un héros.

Pour la deuxième fois en quelques jours, voilà qu’il se trouvait confronté à un terrible dilemme. Fichu Ben Hartman. Fichus jumeaux Hartman.

Deschner tenait à respecter la parole donnée à Peter et Liesl – il y tenait bien qu’ils soient morts tous les deux, à présent. Mais ils étaient bel et bien morts, et son serment avec eux. Il fallait tenir compte d’autres considérations.

Seule sa propre survie comptait.

Devant Bernard Suchet de la Handelsbank, il avait prétendu ignorer l’affaire où avait trempé Peter Hartman. Mais le banquier était trop malin pour avoir ajouté foi à ses affirmations. En vérité, il aurait préféré ne rien savoir, adopter la politique de l’autruche.

Ce n’était plus possible.

Plus il réfléchissait à la question, plus sa colère grimpait.

Liesl était une jolie fille – il avait la gorge serrée quand il pensait au temps passé – mais elle avait eu tort de s’adresser à lui. Ils étaient parents, certes, pourtant elle avait trop exigé de lui. Mentalement, il se mit à se disputer avec sa cousine décédée. Il n’aurait jamais dû lui céder, jamais. Leur croisade ne le concernait pas. Avait-elle la moindre idée du pétrin dans lequel elle l’avait mis ?

Ses paroles lui revinrent : Nous avons besoin de ton aide. C’est tout. Nous n’avons personne d’autre vers qui nous tourner. Deschner revoyait ses grands yeux bleus si lumineux, aussi clairs qu’un lac de montagne, son regard franc qui semblait réclamer, de la part de son interlocuteur, une semblable franchise.

Deschner sentit monter un furieux mal de tête. La jeune femme avait trop exigé, un point c’est tout. Du monde sans doute et de lui surtout.

Elle s’était mis à dos une organisation qui assassinait les gens aussi facilement qu’une contractuelle distribue des PV. À présent, Liesl était morte et il risquait fort de se voir entraîné dans sa chute.

Ils apprendraient que la carte avait été activée, que le Dr Matthias Deschner le savait et n’en avait rien dit. Bientôt le Dr Matthias Deschner n’existerait plus. Il pensa à sa fille, Aima, qui allait se marier dans deux mois seulement. Aima attendait avec une telle impatience que son père la conduise à l’autel. Sa gorge se serra quand il l’imagina remontant seule la nef de l’église. Non, c’était impossible. S’il permettait cela, il se montrerait non seulement imprudent mais égoïste.

La douleur derrière ses yeux ne faisait que croître. Il fouilla dans le tiroir de son bureau, trouva un flacon de Panadol et avala d’un trait une tablette amère et crayeuse.

Il regarda la pendule.

Il signalerait l’appel d’activation de la carte. Mais pas tout de suite. Il laisserait s’écouler quelques heures. Puis il appellerait.

Ce retard serait facile à justifier et ils lui seraient reconnaissants de leur avoir livré l’information. Sans aucun doute.

Et grâce à ce délai, le fils Hartman aurait peut-être le temps de se mettre à l’abri. De toute façon, il lui permettrait de prolonger de quelques heures son séjour sur cette terre. Il lui devait bien cela, décida Deschner, mais sa générosité s’arrêterait là.

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